A partir de l'analyse des vidéos vernaculaires prises lors des manifestations en Turquie, cette intervention s'interroge sur le pouvoir performatif des images au sein des sphères politiques et sociales et l'approfondit à travers un questionnement sur l'archive et le réemploi des images comme ressources primaires dans les enquêtes numériques. L'analyse des différents usages des images dans le contexte de résistance face aux tactiques d'annihilation d'un gouvernement autoritaire, nous permet de penser d'une part aux différentes formes de représentation et de dissidence politique, dépassant ainsi les frontières nationales, et constitue d'autre part une réflexion sur le devenir des images ainsi que de l'évolution de notre regard sur ces dernières.

Suivant J.-L. Comolli, selon qui la place du spectateur n'est jamais coupée de celle du sujet politique, cette intervention s'intéresse aux vidéos vernaculaires et plus particulièrement à celles qui ont été prises dans des contextes de manifestation et de révolte en Turquie. Alors qu'en octobre 2018, vingt années d'archive constituées par le vidéo-activiste Oktay İnce ont été saisies par la police, les mécanismes de contrôle et la répression du gouvernement turc se heurtent à des pratiques de self-documentation inédites dans le pays – cela notamment depuis le mouvement de la place Gezi en 2013. Considérant l'objet filmique comme un support d'imprégnation, un motif de discours et de mobilisation, notre analyse repose sur deux axes principaux :
- Image-témoin et la question de l'archive
- Réemploi des images comme ressources primaires dans l'enquête numérique

Le premier axe vise à démêler la syntaxe politique véhiculée par les images en insistant sur leurs conditions de production, leurs modalités de diffusion et les échelles de visibilité dans le cas d'un espace public atomisé. Comment les acteurs vivent-ils l'expérience de révolte, comment la vidéo nous permet-elle d'analyser l'émergence de différentes formes de dissidence ? Ces questions se déploient à travers une réflexion sur la mémoire et l'archive audiovisuelle. Une telle démarche permet, entre autres, d'évaluer les processus de construction de la culture matérielle à l'heure du numérique et, par ailleurs, d'appréhender l'importance attribuée à l'image animée dans l'écriture de l'Histoire. Le deuxième axe se concentre sur la (re)valorisation de l'objet filmique dans les sciences humaines et sociales et discute des enjeux méthodologiques de la recherche sur le web, en mettant l'accent sur la diversité des corpus ethnographiques et sur l'éphémère qui caractérise les plateformes de diffusion numérique.