Dans cette communication, la notion de changement revêt deux aspects : Un changement au niveau du statut des images c'est à dire à leur utilité, à la manière de les produire et à la posture du chercheur-filmeur au cours de la recherche. Le changement ou la socialisation des élèves de Bac Pro ASSP au cours de leur trois années de scolarisation et la manière dont la sociologie filmique peut mettre en scène et révéler cette transformation invisible et parfois inconscientes des êtres. Le chercheur-filmeur comme les élèves de cette filière ont un apprentissage en commun, ils vont apprendre au cours de ces trois années à approcher l'autre et le soutenir.

Cette communication s'appuie sur notre travail de recherche mené dans le cadre d'une thèse en sociologie filmique pour laquelle nous avons souhaité suivre une cohorte d'élèves de la classe de seconde à l'obtention de leur diplôme. Ces élèves sont scolarisés au Lycée Professionnel Charles Baudelaire d'Evry dans la filière ASSP (accompagnement, soin, services à la personne). À l'aide d'une enquête longitudinale, nous avons voulu étudier la construction d'une identité professionnelle reposant sur la prise en charge et l'accompagnement d'individus dépendants. Notre méthodologie de recherche articule observations, entretiens biographiques et sociologie filmique. Notre attention se focalisera sur cette dernière ; en quoi la sociologie filmique est-elle un outil pertinent pour observer et rendre compte du changement ?

• 1/ Statut de l'image dans la recherche Les recherches en sciences sociales sont nombreuses à faire état des questionnements que se posent les chercheur.ses quant à leur présence sur leur terrain, il en va de même pour les chercheurs-réalisateurs, qui, en plus de leur présence, s'imposent et imposent aux autres la présence d'une caméra. Cette caméra, au cœur de la salle de classe, a des effets réels et des effets imaginés qu'il est parfois compliqué de distinguer pour le chercheur. Au lieu de pronostiquer sur les éventuels effets induits, nous proposons de réfléchir à l'évolution du rapport du chercheur à l'usage de la caméra pour sa recherche. Les choix de prises de vues témoignent de cette évolution du rapport au médium. Si en début de recherche, le chercheur avait tendance à opter pour un cadre distant avec une caméra sur pieds cherchant à se faire oublier, c'est certainement qu'il avait le sentiment que sa présence en ce lieu avec cette caméra n'était pas légitime. Il a fallu prendre conscience de l'aspect valorisant que revêtait le fait d'être filmé pour les élèves de la classe

• 2/ Observer et mettre en scène le changement Comment rendre visible les processus invisibles et parfois inconscients de socialisation et de construction de l'identité ? Nous postulons que les entretiens filmés avec les élèves ainsi que les moments d'autoconfrontation et de vidéo-élicitations (Cesaro, 2018) sont des occasions pour eux de fixer leur identité par l'image. En effet, l'outil filmique remplit une fonction délaissée par l'école, celle de permettre des moments de réflexivité par rapport aux choix d'orientations et aux expériences vécues en période de formation en milieu professionnel. En sauvegardant ces images, le chercheur-filmeur devient garant de la permanence de la personnalité et de la cohérence d'un parcours ; filmer le changement revient à accompagner un changement de perception de leurs activités (Géhin ; Buob, 2020). Pour mettre en scène et rendre visible ce changement, le chercheur-réalisateur devra utiliser un langage cinématographique propre (Sebag ; Durand, 2015) et nécessitant de transmettre “la rigueur de l'enquête scientifique à l'art de l'exposé cinématographique.”(Rouch, 1968)