Retour vers l'argentique ? Ethnographie, photographie et démarches d'enquête
Camilo Leon Quijano  1, *@  
1 : École des hautes études en sciences sociales  (EHESS)  -  Site web
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS]
54, boulevard Raspail 75006 Paris -  France
* : Auteur correspondant

Qu'il s'agisse des méthodes participatives de l'image (i.e. Fairey 2018; Leon-Quijano 2019), des ethnographies critiques (Vium 2018) ou des nouvelles approches documentaires (i.e. Asselin 2017; Eichenberger 2011) , la photographie argentique est de plus en plus mobilisée dans le cadre de projets de recherche en sociologie visuelle. Quelles sont les motivations de ce retour vers l'argentique ? À l'heure de l' « image partagée » (Gunthert 2015), quels sont les implications de ce passage aux procédés argentiques ? Quel rôle joue ce dispositif sociotechnique dans la définition des nouvelles expériences d'enquête ethnographique sur le terrain ? À partir de deux expériences d'enquête issues de mon doctorat en sociologie et d'une recherche visuelle en cours, cette communication vise à réfléchir aux enjeux et aux défis de l'utilisation des procédés argentiques dans le processus d'enquête ethnographique.

La première situation d'enquête est issue de mon terrain doctoral qui a eu lieu à Sarcelles entre 2015 et 2018. Sarcelles, une ville moyenne située à 15 km au nord de Paris est le « symbole de la ‘banlieue-dortoir' » (Vieillard-Baron 1996, 325). Cette commune dispose de l'un des premiers et plus imposants grands ensembles de France. Au fil des années, Sarcelles est devenue le symbole des utopies et par la suite des dystopies urbaines (Bernard 1964; Bernié-Boissard 2006; Canteux 2004). Avec ses 60 000 habitants, elle fait partie des lieux dont le fantasme est entretenu par des récits médiatiques, filmiques et photographiques diffusés depuis la naissance des grands ensembles. L'un des symboles de cette mythologie urbaine est la sarcellite, la supposée « pathologie » inhérente à la vie sociale dans les grands ensembles.
Dans ce contexte, j'ai étudié la vie quotidienne d'Isabelle, une habitante qui vit à Sarcelles depuis 1968. Dans le cadre d'un suivi biographique, j'ai photographié la vie quotidienne de cette sarcelloise. En parallèle, j'ai réalisé des activités de photovoice (Wang 1999) avec elle. En particulier, je lui ai fourni plusieurs appareils jetables argentiques pour qu'elle photographie son quotidien. Il s'agira lors de cette première étude de cas de réfléchir aux implications et enjeux de l'utilisation de ce type de matériel argentique dans l'étude ethnographique des expériences ordinaires en milieu urbain. Des sujets concernant la pragmatique des productions visuelles et la réflexivité visuelle de l'enquêtée seront abordés. Une question phénoménologique concernant le rôle de l'outil visuel dans la représentation de l'expérience subjective d'un point de vue esthétique et sensoriel sera également traitée.
La deuxième situation d'enquête touche un sujet auto-ethnographique démarré dans le contexte pandémique actuel. Il s'agira de réfléchir à l'utilisation de la photographie pour dépeindre l'expérience pandémique transnationale. Sur la base de mon expérience en tant que photographe et sociologue, cette deuxième étude de cas, analysera la façon dont la photographie argentique au moyen format permet de mieux étudier et représenter l'expérience pandémique par le biais d'une création narrative centrée sur l'objet imagé.

En conclusion, cette communication permettra de mieux saisir les enjeux d'un « retour vers l'argentique » en confrontant deux expériences d'enquête. Étudier ce dispositif sociotechnique d'un point de vue critique, réflexif et poïétique permettra d'envisager les nouveaux usages sociaux des images dans le cadre d'enquête en sociologie visuelle.

Bibliographie
- Asselin, Mathieu. 2017. Monsanto: une Enquête Photographique. Arles: Actes sud.
- Bernard, Marc. 1964. Sarcellopolis. Bordeaux: Finitude Editions.
- Bernié-Boissard, Catherine. 2006. « Un roman d'ethnographie urbaine : Sarcellopolis de Marc Bernard (1964) ». Esprit Octobre (10): 99.
- Canteux, Camille. 2004. « Sarcelles, ville rêvée, ville introuvable ». Sociétés & Représentations 17 (1): 343.
- Eichenberger, Andrea. 2011. « Images d'Indiens : d'objet à sujet : la photographie chez les Guarani du village Yynn Moroti whera à Santa Catarina (sud du Brésil) ». These de doctorat, Paris: Université Paris 7.
- Fairey, Tiffany. 2018. « Whose photo? Whose voice? Who listens? ‘Giving,' silencing and listening to voice in participatory visual projects ». Visual Studies 33 (2): 111‑26. https://doi.org/10.1080/1472586X.2017.1389301.
- Gunthert, André. 2015. L'image partagée: la photographie numérique. Paris: Textuel.
- Leon-Quijano, Camilo. 2019. « Gender, Photography and Visual Participatory Methods: An Ethnographic Research Project between Colombia and France ». Visual Anthropology 32 (01): 1‑32. https://doi.org/10.1080/08949468.2019.1568111.
- Vieillard-Baron, Hervé. 1996. « Sarcelles aujourd'hui : de la cité-dortoir aux communautés? » Espace, populations, sociétés 14 (2): 325‑33.
- Vium, Christian. 2018. « Temporal Dialogues: Collaborative Photographic Re-Enactments as a Form of Cultural Critique ». Visual Anthropology 31 (4‑5): 355‑75. https://doi.org/10.1080/08949468.2018.1497331.
- Wang, Caroline. 1999. « Photovoice: A participatory action research strategy applied to women's health ». Journal of Women's Health 8 (2): 185‑92. http://online.liebertpub.com/doi/abs/10.1089/jwh.1999.8.185. 


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