Photographier l'islam: retour d'expériences de terrain
Victor Albert Blanco  1, *@  
1 : Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris  (CRESPPA)  -  Site web
Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7217, Université Paris Nanterre : UMR7217, Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis : UMR7217, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis : UMR7217
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* : Auteur correspondant

Cette présentation a pour objectif de réfléchir sur le rôle des images dans les enquêtes sociologiques sur l'islam. Elle se nourrit notamment de deux expériences de terrain et propose de retracer les vertus et les limites de la prise et l'analyse d'images comme outil méthodologique.

D'abord, elle puisse dans les coulisses de l'enquête menée entre 2016 et 2019 dans le cadre de ma thèse de doctorat portant sur l'encadrement de l'islam dans deux quartiers gentrifiés de Paris et de Barcelone. Deuxièmement, elle s'appuie également sur un projet de recherche collectif étudiant les expressions de cinq confessions religieuses dans l'espace urbain. Dans le cadre de ce projet animé par une équipe de Barcelone, j'ai pris part plus concrètement à une enquête sur la commémoration de l'Achoura par les musulmans chiites de plusieurs villes européennes entre 2017 et 2020. Tant cette recherche que le terrain de ma thèse se sont appuyées sur un dispositif articulant plusieurs outils qualitatifs (observation ethnographique, entretiens semi-directifs, analyse de documents) auxquels ont été aussi intégrées la prise et l'analyse d'images. À partir des images collectées et analysées dans ces différents terrains, je propose une réflexion sur les représentations des faits religieux qu'elles contribuent à reproduire. Je propose ainsi d'articuler l'analyse de ces représentations à partir du sujet qui prend ces images, distinguant entre (1) le chercheur lui-même, (2) les enquêtés (ici des acteurs musulmans) et (3) d'autres acteurs dits “séculiers” (comme les médias ou des artistes). Je considère ainsi que la question du sujet doit être intégrée à la réflexion méthodologique et épistémologique autour de l'usage des images dans l'enquête sociologique. Cette présentation prétend donc retracer les vertus et les limites de cet outil à l'aune de cette triple classification des sujets concernés.

En premier lieu, la prise d'images constitue un instrument disponible pour le chercheur au cours de ses observations ethnographiques. Les photographies ou les vidéos viennent alors appuyer la prise de notes traditionnelle, et s'intègrent désormais dans un carnet de terrain qui n'est plus fait uniquement de réflexions écrites. Le recours à cet outil dans l'étude du religieux peut pour autant rencontrer les mêmes limites que l'observation elle-même, ce qui impose un exercice supplémentaire de réflexivité. Quelles images prend-on? Sous quel angle? Quelles situations écarte-t-on? Ces et d'autres questions ne sont pas indissociables du point de vue situé et des caractéristiques des chercheurs nous-mêmes. Notre regard (en tant que jeunes européens, blancs et souvent autoidentifiés comme fortement sécularisés) ne se verrait-il pas attiré par des situations jugées exotiques au détriment d'autres pratiques religieuses plus banales? Deuxièmement, le chercheur peut se voir confronté, dans certaines situations, à la demande explicite des enquêtés de ne pas prendre des images. A leur place, les acteurs religieux peuvent offrir de lui envoyer leurs propres photographies. Dès lors, comment doivent-elles être analysées? Ce recours de la part des enquêtés ne traduit-il pas un souci de maîtriser leur mise en visibilité? Enfin, d'autres acteurs font recours à l'image à l'heure de réprésenter l'islam et les musulmans. Dans les terrains qui nourrissent cette présentation, on a été confrontés à des nombreuses images illustrant certaines pratiques religieuses qui ont été publiées dans les médias ou même dans des ouvrages artistiques. Si ces images peuvent constituer un soutien à l'analyse de documents et à la construction d'une sociohistoire de la présence religieuse dans un endroit donné, elles ne sont pas pour autant des supports neutres. Ces images ne véhiculent-elles pas des représentations particulières? Ne nourrissent-elles pas des formes de stigmatisation sur certaines pratiques religieuses? Ou encore, ne traduisent-elles pas une certaine exotisation? 

Cette présentation revient donc sur ces différentes questions en essayant de les répondre par un retour d'expériences vécues sur le terrain.


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