La CFDT et la cause des femmes. Retour sur une histoire ambivalente à partir d'une sociologie visuelle des tracts
Maxime Lescurieux  1, *@  
1 : Institut national d'études démographiques  (INED)  -  Site web
Institut national d'études démographiques
133 boulevard Davout, 75 020 Paris -  France
* : Auteur correspondant

En 2018, les femmes sont encore sous-représentées dans l'espace syndical, tant en bas de la hiérarchie parmi les adhérentes, aux niveaux intermédiaires sur les lieux de travail, qu'aux postes exécutifs. Bien qu'elles aient investi massivement le marché du travail salarié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les syndicats ont longtemps été réticents à s'ouvrir aux femmes, oscillant entre proclamations de leur droit au travail et renvoi des intéressées au foyer. Néanmoins l'action de la CFDT en faveur de la cause des femmes (Bereni, 2015), entendue ici comme la défense des intérêts catégoriels des femmes visant l'amélioration de leur statut et de leurs conditions, n'est pas nouvelle. Bien au contraire, celle-ci fait figure de pionnière.

Toutefois, le rapport à la cause des femmes semble ambivalent au regard de l'histoire de l'organisation, qui bâtit son identité d'abord sur la construction d'une théorie du « socialisme démocratique et autogestionnaire » pour ensuite reconnaître le marché comme un cadre indépassable du syndicalisme (Defaud, 2014). Le rapport de la CFDT à la cause des femmes semble moins net qu'elle n'y parait à l'image de l'histoire plurielle des féminismes. Mais alors quels rapports la CFDT entretient-elle à la cause des femmes ? Ce rapport est-il univoque et constant dans le temps ? S'exprime-t-il de la même manière à l'intérieur de l'organisation qu'à l'extérieur ?

Pour répondre à ces questions, notre communication propose de s'appuyer sur un corpus de 70 tracts issus des archives confédérales de la CFDT, de 1960 à nos jours, afin d'éclairer l'évolution du rapport de l'organisation à la cause des femmes. L'utilisation et l'étude de ce matériau visuel sont ainsi explicitement mises au service de l'analyse sociale de la division sexuelle en parallèle des conventions du langage photographique (Goffman, 1977). En interrogeant la ritualisation des rapports sociaux de sexe dans les tracts, comme caisse de résonance et faisceaux d'indices objectifs, le rapport de la CFDT à la cause des femmes apparaît équivoque dans le temps. Selon l'affirmation d'un type d'orientation (héritier du catholicisme, puis en faveur d'une lutte des classes et sexes pour ensuite reconnaître le marché comme un cadre indépassable du syndicalisme), le rapport de la CFDT à la cause des femmes évolue. Il est d'abord ambigu puis dépolitisé et finalement institutionnalisé. Il prend selon la période et le contexte social une forme particulière tout en perdant ses aspects les plus contestataires au fil du temps. Les facteurs structurels et historiques de la division sexuée du travail sont peu à peu négligés en faveur d'un « féminisme de marché » (Pochic, 2018).

Bibliographie
- BERENI, Laure. La bataille de la parité : mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Economica, Paris, 2015, pp.300.
- DEFAUD, Nicolas. « De l'autogestion au syndicalisme de proposition. Sociologie d'une conversion sans convertis », in Cécile Guillaume (dir.), La CFDT, sociologie d'une reconversion réformiste, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2014, pp.19-36.
- GOFFMAN, Erving. « La ritualisation de la féminité », Actes de la recherche en sciences sociales, vol.14, 1977, pp.34-50.
- POCHIC, Sophie. « Féminisme de marché et égalité élitiste ? », Margaret Maruani éd., Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes. La Découverte, 2018, pp.42-52.


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