Pour une critique du folklore (visuel) des luttes
Wade Eaton  1, *@  
1 : LITT&ARTS. Arts et pratiques du texte, de l'image, de l'écran et de la scène  (LITT&ARTS)  -  Site web
Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5316, Université Grenoble Alpes : EA7355
Litt&Arts - Université Grenoble AlpesCS 40700 - 38058 Grenoble cedex 9 -  France
* : Auteur correspondant

Les mouvements sociaux paraissent être de plus en plus visibles, diverses causes peuvent expliquer cette médiatisation nouvelle. Parmi elles, un fort apport du visuel folklorique. Pourtant, cette folklorisation s'avère finalement contre-productive en vidant les mouvements sociaux (principalement ceux traditionnels) de toutes leurs formes subversives, critiques et in fine révolutionnaires.

Les zones à défendre (ZAD), les squats et autres lieux d'appropriations comme les fermes partagées et écologiques semblent gagner en visibilité et en médiatisation. Les associations comme Extinction Rebellion (XR) ou Action non-violente COP21 (ANV-COP21) participent aussi de cette dynamique. Les questions écologiques sur l'extinction des espèces et du réchauffement/dérèglement climatique n'y sont sans doute pas anodines et participent de ces initiatives que l'on retrouve même au sommet de l'État : « Make our planet great again » avancera le président français en juin 2017. Pourtant, derrière ces initiatives (souvent locales), ces lieux (ré)investis, ces changements à « bas bruits », il faut voir une créativité nouvelle, une manière de s'organiser, une conflictualité, mais non une fin en soi. Car, au contraire de mouvements sociaux dits plus traditionnels, ces changements à « bas bruit », s'intéressent rarement aux dynamiques de luttes des classes populaires et d'auto-organisation collective.
En effet, ces changements à « bas bruit » optent davantage pour une coupure avec la vie quotidienne et un repli sur soi en favorisant la marginalité : se réduisant ainsi davantage à un complément de lutte plus qu'à une alternative. Et pour cause, les problématiques d'hier (dans un temps plus ou moins long) sont toujours aussi pertinentes. Ce qui se retrouve le plus souvent dans ces initiatives qu'elles soient à « bas bruit » ou plus traditionnelles c'est une critique de la société dans son ensemble (critique marxiste s'il en est). Gilets Jaunes, Nuit Debout, printemps arabe ou érable (grève étudiante au Québec), Indignados ou Occupy, ces mouvements sociaux récents, qu'ils soient franco-français ou étrangers, envisagent ces changements de société.

Les revendications ne sont sans doute pas identiques, et ceci au sein même d'un mouvement aux apparences unitaires, les différences peuvent être très marquées : approche réformiste, citoyenniste ou encore postmoderniste. Mais n'est-ce pas là le propre des mouvements sociaux que d'être pluriels autant dans leurs revendications que leurs modes d'action ? Ici sans doute réside l'attrait pour les personnes en lien avec le visuel : montrer autant que donner la parole à des personnes qui n'en n'ont pas nécessairement l'habitude, qui n'en ont pas les codes. Processus ancien, né pratiquement avec la naissance du cinéma, qu'il convient d'adapter. Il s'agit de ne pas rester passif, mais au contraire de s'impliquer et de poser un regard critique sur le discours en évitant toute « folklorisation » (la ZAD ou la non-violence comme fin en soi) ou misérabilisme (approche Ruffin du cinéma) afin de rester sur les luttes populaires et les problématiques y étant relatives. C'est par exemple ce que fait Manon Ott avec son De cendres et de braises (2019) dans la cité des Mureaux. L'artiste et le chercheur se retrouvent dans une posture similaire, peuvent se confondre aussi dans le cas de la chercheuse française. L'intention n'est pas de rapporter des faits « objectifs », de montrer sans critiques comme peut le faire un journaliste. Les objectifs sont différents de l'une à l'autre des professions. Il s'agit, pour la sociologie visuelle et filmique, d'intervenir dans ces changements, de les documenter, de les critiquer, de les interroger, de susciter des questionnements, sans tomber dans un enfermement conduisant à un entre-soi se cantonnant à un cercle d'initiés ou de militants. En limitant l'intérêt des luttes à un « folklore » (visuel) ou en privilégiant une forme underground sur une plus traditionnelle : tel est le risque.

Bibliographie provisoire
- Gaudez, Florent. 2018. « Criar, resistir, escrever : arte, imaginario e engajamento ». Sociologias, vol. 20, n° 48 (mai-août), p. 106-122.
- Marcuse, Herbert. 1979. La dimension esthétique. Pour une critique de l'esthétique marxiste. Paris : Éditions du Seuil. Neveu, Érik. 2019. Sociologie des mouvements sociaux. Coll. « Repères ». Paris : La Découverte.
- Périot, Jean-Gabriel, et Alain Brossat. 2018. Ce que peut le cinéma : conversations. Paris : La Découverte.

Biographie : Doctorant à l'Université Grenoble Alpes au sein du laboratoire LITT&ARTS (UMR 5316), Wade Eaton travaille sous la direction de Florent Gaudez sur le(s) cinéma(s) en lutte : une recherche-création.


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