Déconstruire la virilité, une approche par le sensible sur des pratiques sensibles
Emilie Fernandez  1@  
1 : Sciences, Espaces et Sociétés  (SES)  -  Site web
Université Toulouse - Jean Jaurès
UFR Sciences, Espaces et Sociétés Université Toulouse le Mirail 5, Allées Antonio Machado 31058 Toulouse Cedex 1 -  France

Les mouvements féministes des années 1960 ont propulsé des questions d'ordre privé sur le travail domestique et la sexualité dans le débat public (Haicault, 1984, Guillaumin, 1992). Depuis, la demande sociale d'égalité entre les femmes et les hommes n'a cessé de s'affirmer et les politiques publiques durent s'en emparer. On a alors vu se développer des services destinés aux femmes, en particulier des services d'aides aux victimes de violences conjugales[1]. Du côté des auteur.e.s de violences conjugales, majoritairement des hommes, la réflexion tarde à s'amorcer laissant à la Justice la charge d'y remédier.

Sciences sociales et politiques publiques tardent à se pencher sur la question du masculin laissant ainsi les femmes seules responsables de la promotion de l'égalité de genre (Ayral, 2011). Pourtant, dès les années 1970, des groupes d'hommes amorcent une réflexion sur l'implication des hommes face à la demande d'égalité. Certains collectifs, souvent les plus radicaux, sont alors étudiés ; on retrouve des recherches sur les hommes féministes radicaux souvent issus des milieux underground et libertaires (Welzer-Lang, 2009, Thiers-Vidal, 2002) ou des recherches sur les groupes réactionnaires et antiféministes issus des mouvements masculins les plus conservateurs (Dupui-Déri, 2009). Mais depuis les années 1980, les débats sur les questions de genre se sont étendus et ont donné naissance à de nouvelles mobilisations de collectifs masculins. Parmi eux, j'ai observé des dispositifs aux univers différents dans le secteur du travail social, le secteur du développement personnel, le milieu militant queer et la scène artistique.

La communication que je propose aujourd'hui est issue de ma recherche doctorale. Il s'agit de rendre compte, en images et en sons, de cette étude menée entre 2014 et 2019 en France et au Québec. À travers des extraits de mon objet sociologique et filmique Masculinités sensibles[2], je propose de mettre en perspective, par le langage sensible, combien les masculinités étudiées font elles-mêmes appel au langage sensible.
Le genre étant un organisateur social incarné, c'est à travers le travail émotionnel et les pratiques corporelles que les enquêtés construisent et font la promotion de leurs positionnements dans les débats politiques de genre. Si la thèse écrite s'attache à interpréter les enjeux stratégiques du phénomène, l'objet audiovisuel lui, apporte une meilleure compréhension des questions que soulève la masculinité et en particulier sur la dimension violente de la virilité, ici, contestée. Nous découvrons alors des dispositifs, issus des mouvements québécois des années 1980, qui mettent en pratique leurs réflexions dans une intervention sociale centrée sur le développement de l'empathie (Tremblay & L'Heureux, 2010). Ou encore en France, des hommes qui se rassemblent autour de pratiques artistiques afin de mener une réflexion sur leurs masculinités et comment en changer les règles.

L'écriture filmique, qui articulent des images et des sons recueillis lors des mes terrains d'enquête, partage par le langage sensible des notions sociologiques telles que le genre ou la masculinité et permet d'en donner une dimension sensible en donnant à sentir une catégorie sociale souvent homogénéisée et essentialisée dans sa dimension écrite. En plus de faire découvrir un phénomène peu étudié, le documentaire sociologique donne des clefs de lecture sur les mécanismes du genre qui parfois passent inaperçus dans les relations mais aussi dans les corps et les émotions. Le documentaire sociologique devient ainsi une invitation à se saisir du sujet, à se l'approprier et à aller plus loin dans la réflexion (Sebag & Jean-Pierre Durand, 2020).

Références bibliographiques citées dans le texte :
- Ayral, S. (2011). L'appareil punitif scolaire, vecteur de construction de l'identité masculine. Dans D. Welzer-Lang, & C. Zaouche-Gaudron, Masculinités: état des lieux. Éditions Eres.
- Dupui-Déri, F. (2009). Le "masculinisme" : une histoire politique du mot (en anglais et en français). La polyparentalité: un genre nouveau ?
- Guillaumin, C. (1992). Sexe, race et pratique du pouvoir. L'idée de nature. Côté-femmes.
- Haicault, M. (1984). La gestion ordinaire de la vie en deux. Travail des femmes et famille, 26, 268-277.
- Sebag, J., & Jean-Pierre Durand. (2020). La sociologie filmique. (CNRS Éditions)
- Tremblay, G., & L'Heureux, P. (2010). Des outils efficaces pour mieux intervenir auprès des hommes plus traditionnels. Dans J.-M. Deslauriers, G. Tremblay, S. Genest Dufault, D. Blanchette, & J.-y. Desgagnés, Regards sur les hommes et les masculinités. Comprendre et intervenir. Canada: Les presses de l'Université Laval.
- Thiers-Vidal, L. (2002). De la masculinité à l'anti-masculinisme : penser les rapports sociaux de sexe à partir d'une position sociale oppressive. Dans Nouvelles Questions Féministes (Vol. 21).
- Welzer-Lang, D. (2009). Nous, les mecs. Essai sur le trouble actuel des hommes. Paris: Éditions Payot & Rivages.

[1] Bien que des services se soient déployés sur le territoire, il convient de préciser qu'ils sont encore insuffisants pour accueillir et accompagner le grand nombre de victimes de violences conjugales et de genre.
[2] Documentaire sociologique réalisé dans le cadre de ma recherche doctorale Masculinités sensibles est un objet audio-visuel composé de photographies, de vidéos et d'entretiens sonores réalisés lors de mes terrains d'enquête. 34 min


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